Raphaël Rück –L’adaptation de la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh est un chef d’oeuvre cinématographique de notre temps. Réalisé par le tunisien Abdellatif Kechiche (La graine et le mulet) il a suscité un tollé parmi les critiques pour ses scènes de sexes crues et proches de la pornographie. Réponse à ceux qui se sont arrêtés sur ses défauts sans en voir les atouts.

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Eponyme du film, Adèle Exarchopoulos, est la véritable auteur de ce long-métrage de plus de trois heures. Dès la première séquence elle nous rappelle que les jeans ne sont pas toujours moulés sur les corps des femmes du XXième siècle en remontant son pantalon avant de courir après le bus qu’elle vient de rater. Tout au long du film le spectateur peut suivre avec joie, effroi et empathie la mimique de son visage et la gestuelle de son corps cadrés de près et de moins près, à son avantage et – je l’avoue – son désavantage.

Pierre Voélin, poète d’expression française et professeur de cette même langue dont j’ai pu apprécier les cours durant mes années de collège, s’indigne devant cette mise en scène qu’il qualifie de sadique. Dans une lettre ouverte publiée dans La Liberté du 22 octobre 2013 il nous rappelle le “paradoxe du comédien” de Diderot auquel Kechiche n’a visiblement pas recouru – malgré une esthétique parfois théâtrale, certes. Au contraire ce qui nous fait parler d’une certaine “vérité” à la sortie du film sont sans doutes les émotions perçues à l’écran qui sont bien plus que représentées si non réellement vécues par les deux actrices de cinéma. Je pose l’accent sur le média car c’est bien de cinéma au sens d’un art réaliste (hyper-réaliste dans le cinéma de Kechiche, cf. La graine et le mulet) comme on l’entend en opposition à son grand frère le théâtre dont il s’agit.

Cinéma de gros plans, ce sont aussi des flous, des bokeh, des peaux, des mailles de tricot, des cheveux, en somme: des structures sur lesquelles la caméra de Sofian El Fani sait s’attarder. A côté d’être un plaisir esthétique c’est surtout une manière bien propre au cinéma d’évoquer, de focaliser des aspects de l’être humain. Comme certaines oeuvres de littérature (voir le poème de Francis Ponge qui rend hommage à la pomme de terreAdèle donne envie de déguster un bon plat de spaghettis bolognaise en se léchant les babines. Elle se pose en grande goûteuse des choses de ce monde et nous invite à faire pareil. C’est une amoureuse passionnelle qui vit des hauts et des bas que beaucoup reconnaitront –lesbienne ou non. Car c’est avant tout sur son côté universel que “le parti lesbien”, notamment Julie Maroh qui regrette le manque de réalisme des scènes érotiques, ne devrait pas laisser planer l’ombre d’un doute.

Lisez ici la lettre ouverte de Pierre Voélin

2 thoughts on “La vie d’Adèle – Chef d’oeuvre indubitable

  1. Merci d’entrer en dialogue à propos de ce film, je voudrais juste préciser que le texte publié dans La Liberté est tronqué : il en manque plus de la moitié… ce qui durcit quelque peu mon propos ; cela dit, l’esthétique de ce cinéma-là me paraît très quelconque, trop facile. Ce qui entraîne l’idée d’un traitement sadique des actrices est leur propre témoignage, vite camouflé d’ailleurs pour des raisons bassement commerciales. Certes, chaque cinéphile peut fort bien défendre son idée du cinéma – mais toutes les esthétiques ne se valent pas, c’est sûr. Enfin, merci.
    Pierre Voélin

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